Fragile de Jean-Paul Gaultier

Commentaire

La publicité ¨Fragile¨, nom d’un parfum du créateur Jean-Paul Gaultier, illustre de manière certaine le phénomène Pornochic qui sévit dans la publicité pour produits hauts de gamme. En effet, le Pornochic est cette tendance de la publicité à sexualiser les représentations et à mettre l’accent sur les ressorts de l’hypersexualité (déstructuration, désordre et référence à l’animalité, qui débouchent symboliquement sur une forme de violence).

Grâce à la description de la publicité, on pourra établir le schéma de catégorie du Pornochic dans lequel elle s’inscrit.

Le personnage principal de cette publicité est une femme aux cheveux noirs et courts, très peu vêtue (seul un tissu noir recouvre partiellement son corps). Trois hommes, eux nus, l’entourent : un se tient derrière elle tandis que les deux autres lui tiennent respectivement une jambe. Ces trois hommes n’ont jamais les cheveux très courts : l’un a les cheveux assez longs tandis que les deux autres semblent bien fournis en cheveux. Ils ne sont pas très musclés, la femme elle, ne l’est pas non plus et l’on a du mal à discerner les courbes de la féminité en elle. Sa poitrine n’est pas visible, on vient même à se demander si elle en a une.

Les trois hommes semblent la soutenir, ce qui permet de penser que même si elle se retrouve au centre de l’image, elle n’est pas en position de domination. Elle est également très pâle. La couleur de sa peau (blanc laiteux) contraste fortement avec le fond noir profond de la mise en scène. En second lieu, on observe un contraste entre sa peau et la peau des trois hommes. Eux sont bronzés mais pas trop, ce qui tend à faire penser que cette femme est morte. Et ce n’est pas seulement sa couleur de peau qui permet d’avancer cela : l’expression de son visage est figé, comateuse, son corps est soutenu par les trois hommes dans une position particulière. Le tout renvoie à la rigidité cadavérique. Il est intéressant de noter que l’homme se trouvant derrière elle ferme les yeux dans une expression de douleur ou de tristesse. Celui qui se tient à sa droite, ferme lui aussi les yeux tandis que le dernier jette un regard dans le vide, désespéré.

Dans le coin inférieur droit, une petite partie de l’affiche est réservée au parfum, dans le coin supérieur gauche, on peut voir le nom du parfum apparaître : ¨Fragile¨, calligraphié comme on le voit souvent sur les emballages aux contenus délicats. Comme si l’affiche était un paquet contenant une femme ¨fragile¨ que trois hommes doivent transporter en prenant toutes sortes de précautions. La femme est réduite à l’état d’objet dont il faut prendre soin. Elle est déshumanisée, désincarnée. Il est également intéressant de souligner la présence d’un phénomène d’actualité qui consiste à focaliser sur la propre expression de la publicité en tant que discours : il n’est plus nécessaire de mettre en valeur l’objet pour le vendre, c’est la mise en scène qui retient toute l’attention du public.

Cette publicité reflète indéniablement une sexualité puissante mêlée d’une idée de mort : on est confronté à une représentation érotisée de l’angoisse de la mort, sujet d’interrogations profondes de la société d’aujourd’hui. Cette publicité s’inscrit dans le schéma agressif du porno chic : la toile de fond est mortifère (jeu de contraste et de couleurs – noir/pâle -, postures, attitudes, etc.) et les peurs anthropologiques sont le ressort de l’hypersexualité. Les hommes dominent la femme sur tous les plans (ils sont trois, vivants, et la soutiennent). La femme est figée, morte et cette destruction traduit la violence, l’animalité (les trois hommes la tiennent comme du gibier – déstructuration des postures et des regards-) et les pratiques transgressives.

On peut également être amené à penser que cette publicité s’inscrit dans le schéma angoissant du Pornochic car les identités sexuelles sont quelque peu troubles comme nous l’avons dit précédemment. Ce trouble est caractéristique de l’inquiétude face au changement lié à la sexuation. Il en débouche un sentiment d’une humanité en péril. Ainsi la limite entre les deux schémas est assez confuse.