Analyse de séquences filmiques : Première partie du film Titanic
- De Halifax à Southampton -

L'analyse de toutes les séquences du film par T. Xenakis / 1.68 Mo

Cette première grande partie, qui correspond à la phase d’exposition du récit, malgré sa courte durée, contient déjà les germes des principaux axes que Cameron va développer dans son récit. Ainsi, elle permet au réalisateur de nous offrir, outre des informations cruciales sur l’histoire, les clefs qui vont nous permettre de rentrer dans le film. La manière dont le cinéaste nous fait accéder à son oeuvre, est, nous allons le voir, très importante. Le récit fonctionnant en effet sur plusieurs niveaux, il faut qu’il pose ses jalons très clairement dès le départ, pour espérer atteindre, au bout de plus de trois heures, le résultat escompté.

Pre-générique

Des images, apparemment tournées avec une caméra d’époque, montrent le bateau au départ ainsi que des gros plans sur les passagers. Cette première séquence tranche nettement avec l’imposant logo 20th Century Fox (ou Paramount, en fonction de la zone géographique d’exploitation) qui la précède. Déjà, Cameron annonce le ton avec sa mise en scène (et la symbolique qu’elle véhicule) : il nous présente le bateau dans un cadre qui se veut authentiquement d’époque, mais qui, quatre vingt quatre ans plus tard, est perçu inconsciemment comme un dispositif nostalgique. Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’images d’archives, mais de plans tournés spécialement pour cette séquence.

Néanmoins, la façon dont un cinéaste choisit de nous faire entrer dans son film n’est jamais innocente, ni pour lui, ni pour son public, et Cameron en profite pour ébranler dès le début les préconceptions du spectateur : oui, semble-t-il nous dire, vous êtes venus ici pour assister à la reconstitution d’un fait historique universellement connu, que l’on va vous représenter avec le plus grand degré de fidélité possible.

D’ailleurs, c’est Cameron lui-même qui a tourné ces images, assumant conjointement les rôles de réalisateur (derrière sa caméra) et de spectateur (devant la scène du départ).

Mais ne vous y méprenez pas ; ces mêmes procédés (narratifs, techniques) qui vont nous servir à vous faire entrer dans ce film, sont autant de facteurs de distanciation par rapport à la réalité de ce qui s’est vraiment passé. Après tout, nous sommes au cinéma, où il faut manipuler la vérité en permanence pour la transformer en authenticité affective acceptable par les spectateurs.

Nous n’allons donc pas vous montrer les événements comme ils se sont exactement déroulés, mais au contraire nous allons vous en donner une version altérée, qui correspond plus à ce que nous imaginons que les personnes impliquées à ce drame ont du ressentir à ces moments là, qu’à ce qui est supposé s’être réellement passé.
Bref, nous vous invitons à un voyage, où un « vaisseau-regard » (l’appareil cinématographique) va se superposer au « vaisseau-thème » du film (le R.M.S Titanic).

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Générique / l’épave

Dans un fondu enchaîné, l’image vire du sépia des films muets au bleu-noir de l’océan, où apparaît le titre. Puis, deux taches de lumière attirent notre attention dans cette pénombre maritime. Elles se révèlent être les faisceaux de deux sous-marins Mir qui se dirigent vers les profondeurs de l’océan, nous emmenant avec elles vers le trésor qui y gît. Le regard du spectateur ne peut que suivre ces points lumineux, qui l’entraînent vers le ce qui va constituer le point nodal du récit. Comme il l’a fait lui-même avec son équipe de tournage en septembre 1996, Cameron nous demande de plonger à la recherche du véritable Titanic et de sa réalité enfouie, et de partager ainsi sa propre expérience.

C’est ainsi que nous découvrons, au même moment que l’équipage du Mir, les vestiges du Titanic, qui apparaissent dans la lumière des projecteurs tel un mirage. Toutefois, il s’agit là d’images réelles, tournées par Cameron lui-même. Cette épave rouillée, faiblement illuminée, semble moins tangible que toutes les autres représentations du bateau que nous allons voir, et pourtant c’est la seule qui existe véritablement. En descendant au fond de l’océan avec ses sous-marins/caméras, en entraînant son équipe de tournage, en éclairant l’obscurité ambiante avec ses projecteurs surpuissants, Cameron s’amuse à mettre en scène la réalité, à la fictionnaliser.

Tout est en fait mis en oeuvre pour nous distancier du monde réel et nous faire entrer dans le celui du rêve et de la nostalgie : l’aspect fantomatique du vaisseau, la musique éthérée, le halo lumineux des projecteurs qui délimite un espace précaire dans la pénombre. On sent bien qu’autour de cette épave chargée d’affects et de souvenirs, le cinéaste est en train de construire une bulle spatio-temporelle dans laquelle il nous invite à pénétrer. Une fois que nous y serons confortablement installés, il pourra nous emmener où il le désire.

D’ailleurs, cette notion du réalisateur/capitaine, qui guide son public/équipage, est constamment présente à travers le film : sur le plan intradiégétif, Cameron le metteur en scène se matérialise à travers deux capitaines : Brock Lovett (Bill Paxton), le capitaine de l’expédition du Mir, et plus tard Edward J. Smith (Bernard Hill), le capitaine du Titanic.

On sait à quel point les metteurs en scène aiment signaler leur présence dans un film à travers des personnages forts, des meneurs, et on devine que Cameron a dû se reconnaître dans ces capitaines courageux qui tentent, chacun à leur manière, d’accomplir des actes réputés irréalisables.

Sur le plan extradiégétif maintenant, le cinéaste s’approprie le rôle du capitaine et son film celui du navire, dans le sens où il est le seul, au final, à guider les spectateurs dans les méandres de sa narration. Responsabilité qu’il assume pleinement, reléguant ses nombreux collaborateurs au rôle de l’équipage, utile mais pas indispensable (Caleb Deschanel, le chef opérateur initialement choisi par la production, a ainsi été remercié après quelques semaines de tournage par Cameron lui-même, parce que son rythme de travail ne convenait pas au réalisateur).

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